
Pour des raisons évidentes qui tiennent au statut de mal aimé propre au Premier Continent, l’esprit du blues a trouvé un écho particulièrement fort en Afrique où vie rime trop souvent avec tragédie. « Ce que je chante dans mes chansons relève de la même histoire que celle des pionniers du blues. J’écris et je chante pour noyer le sentiment d’amertume que m’inspire l’existence », reconnaît Roland.
Son nouvel album, « Blues Menessen », ne dit pas autre chose. En y exorcisant ses frustrations, Tchakounté marche sur les traces des premiers bluesmen qui soignaient leur vague à l’âme en le mettant en musique, forts de la certitude que seul le blues est à même de guérir du blues.
« La musique de Roland Tchakounté s’ouvre sur d’autres horizons et se métisse… infiniment plus personnelle. Elle touche aujourd’hui à l’intime… Cet album s’ouvre pour la première fois au jazz avec les ambiances, tour à tour tendres ou festives, graves mais jamais sombres. »
Jazz Magazine – Eté 2010
« Roland Tchakounté a remis une grosse dose de blues dans sa musique et le chaud mélange de couleurs et de saveurs marche très fort sur son nouveau disque… sa voix y est magnifique de présence… »
Soul bag – Eté 2010
« Roland Tchakounté a percé le secret de la note bleue… sans doute parce qu’il a su rester lui-même, lui qui chante en bamiléké ou en pidjin, créant une musique qui porte la trace de son enfance africaine et de ses amours américaines. A vérifier sur son nouvel album, l’excellent Blues Menessen »
Le Nouvel Observateur – Juin 2010
« Dans la lignée des pionniers du blues, le Camerounais chante les peines de l’homme noir. Un vaste programme appliqué dans « Blues Menessen », séduisante galette sombre ralliant les deux côtes de l’Atlantique. »
World Sound – Mai 2010
« Roland Tchakounté fait vibrer l’air du blues depuis qu’il a quitté son Cameroun natal. Mélangeant le blues acoustique avec sa langue, le bamiléké, entouré de deux musiciens plus que complices, le troubadour noir esquisse depuis deux albums cette dimension exceptionnelle que représente ce blues aux accents africains. »
X-Roads – Mai 2010
« Foin de la virtuosité gratuite et de la dextérité tape à l’œil, voilà un musicien camerounais qui vient nous dire avec beaucoup de talent (et en langue bamiléké) que le blues est avant tout une affaire de sentiment. »
So Jazz – Mai 2010 (SO GOOD)
« Du Cameroun aux Etats-Unis, il n’y a qu’un pas. Le bluesman Roland Tchakounté en apporte une nouvelle fois la preuve avec « Blues Menessen »… Reconnu par ses pairs d’outre-Atlantique, ce dernier n’a rien à prouver… »
World Sound – Mai Juin 2010
BIOGRAPHIE COMPLETE
Pour faire rire Roland — né dans les années 60 à Douala, la plus grande ville du Cameroun — il suffit de lui dire qu’il a l’allure d’un jeune homme. « Un jeune homme, moi ? Pas encore », dit-il avec l’humour caustique qui le caractérise. « En Afrique, on a tendance à faire les choses à l’envers. Chez nous, on considère qu’il faut toute une vie pour mériter la jeunesse. »
Les puristes estiment que l’esprit de contradiction de Roland ne se limite pas à sa conception de la jeunesse, jugeant qu’il use à tort de l’appellation de bluesman. C’est vrai, Douala n’est pas la banlieue de Memphis, et malgré l’importance de ses racines africaines, le blues est américain par excellence, né de la collision dramatique de trois mondes sur les décombres du triangle vicieux de la traite négrière.
Le blues n’en possède pas moins une âme vagabonde, et il aura passé son premier siècle d’existence à s’émanciper du Vieux Sud qui l’a vu naître, envahissant dans un premier temps le Midwest et la côte pacifique avant de partir à la conquête du reste de la planète. Pour des raisons évidentes qui tiennent au statut de mal aimé propre au Premier Continent, l’esprit du blues a trouvé un écho particulièrement fort en Afrique où vie rime trop souvent avec tragédie. « Ce que je chante dans mes chansons relève de la même histoire que celle des pionniers du blues. J’écris et je chante pour noyer le sentiment d’amertume que m’inspire l’existence », reconnaît Roland.
Son nouvel album, « Blues Menessen », ne dit pas autre chose. En y exorcisant ses frustrations, Tchakounté marche sur les traces des premiers bluesmen qui soignaient leur vague à l’âme en le mettant en musique, forts de la certitude que seul le blues est à même de guérir du blues.
Dans le cas de Roland, cette immunisation spirituelle est le fruit d’un long processus entamé à Douala où il est né de parents pauvres chassés par l’exode rural. « Mon père parlait peu de son passé », se souvient Roland, aîné, et seul garçon, d’une fratrie de huit enfants. « Ceux qui s’exilent ont tendance à rompre avec leur passé, à vouloir l’oblitérer. Je comprends d’autant mieux la réaction de mon père que je ne parle jamais du Cameroun à mes enfants. J’ai gardé des souvenirs trop pénibles de mon enfance. »
Marchands de tissu, les Tchakounté ont tout perdu lorsque leur boutique de fortune a pris feu un soir. Roland se souvient que plus rien n’a été pareil par la suite, ses parents se montrant incapables de surmonter un désastre qui réduisait à néant leur instinct de survie. « Quand j’avais dix ans, on nous a réveillés une nuit pour nous dire que la boutique de mon père avait brûlé. Comme la plupart des gens dans le milieu des commerçants modestes, mes parents n’avaient pas de compte en banque, ils gardaient toutes leurs économies dans une cachette et leur argent a brûlé avec tout le reste. Ils n’ont jamais trouvé la force de s’en sortir après ça. »
Les souvenirs les plus cuisants de Roland ne sont pas liés à la pauvreté, mais à l’humiliation de voir ses parents implorer amis, voisins et connaissances dans l’espoir qu’ils puissent aider l’un ou l’autre de leurs enfants. Tout au long d’une adolescence marquée par un sentiment de colère rentrée, Roland ne pense qu’au jour où il pourra quitter son pays. « Je disais toujours que je préférerais être en prison en France que libre au Cameroun. J’avais un cousin qui tentait de me dissuader en disant que la France était un pays froid, et je ne parle pas uniquement du climat, mais je refusais de me laisser mourir au Cameroun. »
Il faut attendre 1989 pour que Roland trouve le moyen d’émigrer en France, après des années de galère passées à trouver suffisamment d’argent pour tenter l’aventure à bord de l’une de ces barques de pêche surchargées qui quittent les côtes de Nigéria et parviennent rarement à destination. « Je ne savais pas nager et on était cinquante dans un bateau ridicule, mais ça n’avait pas d’importance. Ceux qui trouvent ridicule de risquer sa vie de cette façon ne savent pas de quoi ils parlent. On risque notre vie parce que la vie qu’on laisse derrière nous n’est pas une vie. Je savais d’avance que la mort sociale m’attendait si je restais, alors la mort physique ne me faisait pas peur. Je ne suis pas mort en tentant le voyage, mais tout le monde n’a pas cette chance. Un de mes amis a perdu la vie en voulant s’enfuir de cette façon-là. Une fois en mer, les passeurs ont demandé un supplément à ceux qu’ils convoyaient. Mon ami n’avait pas les moyens de payer, alors les passeurs l’ont jeté par-dessus bord. »
La propre aventure en bateau de Roland ayant tourné court à moindre frais, il parvient à se procurer un visa et c’est en avion qu’il débarque à Paris. Le temps de passer quelques mois à l’université de Jussieu, Roland monte une entreprise commerciale à force de débrouillardise et fait la connaissance de celle qui partage sa vie depuis vingt ans : « J’ai passé un pacte avec elle : je lui ai promis de ne jamais lui faire prendre de risque au plan familial et d’assurer le quotidien. En contrepartie, elle me laisse libre de mener ma carrière musicale. »
Fidèle à sa parole, Tchakounté mène depuis une double existence en conciliant vie de famille et passion musicale avec l’adresse d’un équilibriste. « Je n’ai jamais envisagé la musique comme un métier. En Afrique, la musique est un art de vivre, elle tient du sacré. Je la porte en moi depuis l’enfance, elle participe de la nourriture de l’âme. » Outre les berceuses que lui chantaient ses tantes dans son enfance, Roland reste marqué par les chants des Peuls, ces peuplades nomades originaires du Sahel qui traversent l’Afrique jusqu’au Cameroun à la tête de leurs troupeaux.
L’envie de jouer lui est venue par hasard, le jour où un copain que ses parents souhaitaient assagir au prix d’une guitare acoustique en a fait don à Roland. En fin de compte, c’est la soif d’expression de ce dernier que l’instrument aura étanché. Moins d’un an plus tard, Roland dirige sa propre formation à New Bell, un quartier populaire de Douala tristement célèbre pour sa prison et son taux de criminalité élevé. En plus de Jimi Hendrix, dont la version de Hey Joe lui dévoile les trois accords constitutifs du blues, Roland s’intéresse à James Brown et Wilson Pickett, les géants de la soul dont les disques règnent sur les ondes du Cameroun à l’époque.
Dès son installation à Paris, Roland monte un groupe dont le répertoire, entre soul et rock, doit plus à Bruce Springsteen qu’à Son House. C’est dans ce contexte qu’il enregistre en 1990 son premier album, « Bred BouhShuga Blues ». Jusqu’à la fin de la décennie, l’orchestre électrique de Tchakounté tourne régulièrement, faisant même une apparition remarquée au festival Blues-sur-Seine à l’invitation de Jean Guillermo, mais Roland reste à la recherche de son véritable destin musical. Il ne le découvre qu’en 2002 lorsqu’il entend par hasard un enregistrement du Crawling King Snake de John Lee Hooker dans le rayon CD d’un supermarché.
Les ballades et les complaintes peuls de son enfance surgissent instantanément dans sa mémoire et la véritable signification du mot « blues » s’impose brutalement à lui, telle une évidence : « Il y avait le mot blues dans le titre de mon premier album et je connaissais les disques de gens comme B.B. King, Buddy Guy ou Albert Collins, mais leur musique ne me parlait pas vraiment. Quand j’étais gamin au Cameroun, le terme Blues ne désignait d’ailleurs pas les douze mesures, c’était une appellation générique pour le slow, dans les bals. La découverte de John Lee Hooker m’a fait l’effet d’une révélation. J’ai même cru qu’il s’agissait d’un musicien africain qui avait américanisé son nom. Sa façon de déstructurer ses chansons, sa spontanéité, l’énergie de son style presque sauvage, le fait qu’il ne triche pas, autant d’éléments qui ont modifié très profondément ma perception de la musique en donnant un sens à la démarche artistique que j’entrevoyais sans oser la vivre. »
L’exemple du chanteur et guitariste malien Ali Farka Touré avait déjà poussé Roland à chanter dans sa langue natale ; le mariage du blues acoustique avec son dialecte bamiléké lui semble alors la conclusion naturelle de l’évolution artistique qui est en train de l’emporter. « Je chante en bamiléké parce que c’est ma langue maternelle et que je m’y sens à l’aise. Les mots me viennent naturellement lorsqu’il s’agit de traduire en chansons ma vision de la vie », dit-il. Avec l’approche instrumentale originale qu’il met au point, l’usage de cette langue subtile, héritée d’un peuple dont l’histoire remonte à l’Égypte ancienne, va grandement contribuer à la spécificité de la démarque de Roland.
Sa conversion en griot du blues ne trouve pourtant son aboutissement qu’à travers la rencontre avec les deux musiciens qui l’accompagnent aujourd’hui sur scène. Mick Ravassat, un membre distingué du petit monde des guitaristes parisiens, s’exprimait déjà au sein de diverses formations, notamment le Reverend Blues Gang, mais l’idée de parsemer de riffs électriques la trame acoustique d’un bluesman camerounais le séduit instantanément. « Le destin nous réserve pas mal de surprises », remarque Tchakounté. « Un copain m’a invité un jour à un concert dans un club. J’étais fatigué et je n’avais pas vraiment le courage d’y aller, mais mon copain a insisté alors je lui ai promis de venir faire un tour. Je suis arrivé au moment où Mick montait sur scène et j’ai découvert le joueur de slide dont je rêvais pour mon nouveau projet. On s’est appelés le lendemain et il a accepté de me rejoindre en moins de cinq minutes. Le feeling a été immédiat. »
Mick Ravassat à ses côtés, Tchakounté concrétise ses nouvelles ambitions avec l’enregistrement de « Abango ». La sortie du disque, au début de 2005, se charge de lancer la machine. Dès le mois de juin, le duo traverse l’Atlantique à l’invitation de l’organisateur du Chicago Blues Festival, Barry Dolins, séduit par un album atypique. Roland et Mick disposent d’une demi-heure le vendredi, mais la réaction du public est suffisamment enthousiaste pour que Dolins, fait exceptionnel, les invite à revenir le lendemain sur la grande scène de ce qui est le plus grand festival de blues au monde : « Ça m’a donné le coup de pouce que j’attendais, par rapport à moi-même. Les gens faisaient la queue pour acheter mon album, j’en avais les larmes aux yeux. Le fait de trouver un écho dans la capitale du blues m’a débarrassé du complexe que j’avais par rapport aux ayatollahs qui me disaient que le blues, ce n’était pas un musicien africain chantant en bamiléké. »
De fil en aiguille, le nom de Roland Tchakounté s’impose rapidement sur le circuit du blues, de Montréal à Cognac. Tout en enchaînant les concerts, il s’aperçoit que lui font encore défaut certaines couleurs rythmiques ; sur la suggestion de Ravassat, il entre en contact avec le percussionniste Mathias Bernheim. Venus d’horizons très divers tels que le Brésil, le Maroc ou les Balkans, tous ceux qui ont travaillé avec ce musicien pour musiciens célèbrent la délicatesse et l’intelligence de son jeu, mais le travail tout en finesse de Mathias prend toute sa dimension avec Roland et Mick.
L’album suivant est réalisé au moment précis où le duo se métamorphose en trio. « Waka », publié au début de 2008, met en lumière les racines africaines de Roland que viennent enrichir les enluminures bluesy de Mick et la trame rythmique tissée par Mathias. Cet éclectisme fournit enfin à Roland l’équilibre qu’il recherchait : « Si j’avais voulu des musiciens africains, il me suffisait d’aller à Montreuil. Mais je les voulais eux, avec leur personnalité. La force de Mathias, c’est justement de ne pas jouer à l’africaine, mais d’apporter son originalité en étant lui-même. Même chose avec Mick. »
Roland est doué d’un atout majeur, celui de provoquer le meilleur chez les autres. Si la direction artistique du trio lui revient, il veille à ce que Mick et Mathias puissent respirer et s’exprimer librement, sur scène comme en studio. Cette harmonie est manifeste tout au long de ce qui est à ce jour l’album le plus abouti du trio, « Blues Menessen ». À mesure qu’il explore les couloirs sombres de sa propre existence, Roland s’interroge une nouvelle fois sur la nature humaine : « Je ne comprendrai jamais l’utilité de la souffrance dans la vie d’un être humain. Je n’accepterai jamais que le bonheur se limite à quelques instants volés pour la majorité des gens. »
À l’image de la fleur de lotus puisant sa beauté dans la boue, le blues trouve ses racines dans l’horreur de l’esclavage. La musique de Roland, fruit d’une alchimie comparable, est un cri sacré né d’un profond désir de croire en l’Homme, en dépit de tout. En luttant avec ses textes contre l’amertume qui le maintient souvent éveillé la nuit, Tchakounté nous apporte la preuve qu’il est, par essence, un bluesman. (Sebastian Danchin)


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